La tyrannie du positif : et si on arrêtait ?
Vous avez sûrement déjà croisé ces phrases toutes faites :
- « Lâche prise sur tes émotions. »
- « Sois dans la gratitude et le positif. »
- « Quand on veut, on peut ! »
- « Si tu souffres, c’est que tu dysfonctionnes. »
Résultat ? La pression monte. On culpabilise de ne pas être la meilleure version de soi-même. Derrière ces injonctions « bienveillantes », il y a surtout beaucoup de normes et peu d’espace pour être simplement soi-même. Alors si on remettait un peu l’église au milieu du village ? Pas pour devenir parfait·e, mais pour souffler, se libérer et retrouver un peu d’autonomie.
Lâcher-prise ou remettre du contexte ?
Le fameux « lâcher-prise », grande star des demandes en thérapie. Notre société nous répète qu’on a tout pour aller bien, donc si on n’y arrive pas, c’est qu’on gère mal nos émotions. Autrement dit : si on ne sait pas « laisser tomber » sa colère ou sa tristesse, c’est notre faute.
Mais lâcher-prise, dans le sens courant, c’est souvent « laisser ses émotions sur le bas-côté ». Sauf que les émotions sont des messagères : elles signalent un besoin.
>> Mon conseil : plutôt que d’éliminer vos émotions, replacez-les dans leur contexte :
- Est-ce qu’elles concernent vraiment cette situation ?
- Depuis quand sont-elles là ?
- Quel besoin cherchent-elles à exprimer ?
- Est-ce que cette émotion concerne uniquement ce qui se passe dans le présent ou autre-chose du passé ou du futur ?
Les émotions ne sont pas des dysfonctionnements. Elles sont des guides.
Être dans la gratitude… dans un monde qui va mal ?
La pensée positive promet que si on se focalise sur le positif, on attirera à nous que du bon. En réalité, ça marche surtout quand on a déjà des privilèges. Et ça nie une évidence : nos pensées ne se contrôlent pas à ce point, et elles n’ont pas un pouvoir magique sur le monde.
Être touché·e par la souffrance ou l’injustice de nos semblables, ce n’est pas du « négatif », c’est être humain. Vouloir absolument « focaliser sur le positif » peut nous couper de notre sensibilité et de notre humanité.
>> Mon conseil :
- Déculpabilisez vos pensées et émotions dites « négatives ». Elles font partie de vous.
- Cherchez la nuance plutôt que le noir ou blanc.
- Concentrez-vous sur le présent : nommez vos émotions et accepter de naviguer dans ce chaos dans cet instant.
- Et oui des situations dans le monde sont catastrophiques. Agissez à votre échelle pour participer à son amélioration. L’action éteint l’anxiété. Chaque petite action compte.
Se soigner ou se libérer du système ?
Nos émotions ne naissent pas dans le vide. Elles sont façonnées par une culture, des discours et des normes. Et souvent, cette culture nous apprend à croire que si on souffre, c’est qu’on est « cassé·e ». On oublie de regarder le système qui nous entoure.
Exemple :
- Le capitalisme nous fait culpabiliser si on se repose, alors qu’en réalité, c’est l’organisation du travail qui nous écrase.
- Le patriarcat nous enferme dans des rôles rigides : les femmes seraient « naturellement sensibles et maternantes », les hommes « forts et entreprenants ». Et si on ne colle pas à ces cases, on se croit anormal·e.
Au delà de reconnaître que nous sommes bien victime de ces enjeux, on apprends à discerner ce qui nous appartient ou pas.
>> Mon conseil :
- Apprenez à dézoomer. Si vous allez mal, ce n’est pas (que) vous : c’est aussi le système qui pèse. Quotidiennement vous subissez ces injonctions. La bonne nouvelle c’est que ça ne vous appartient pas. Apprenez à vous débarrasser de ce qui ne vous appartient pas !
- Parlez-en avec vos pairs, créez du lien, partagez vos histoires. Ces échanges sont des antidotes puissants à l’isolement, à la culpabilité et à la honte.
- Ensemble identifiez vos besoins. Le groupe est un formidable moteur d’actions.
En guise de mot de la fin
Bien sûr ces conseils ne remplacent pas une thérapie.
Se recentrer, ce n’est pas obéir à de nouvelles injonctions déguisées. C’est apprendre à voir clair les enjeux, à remettre du contexte et à se relier aux autres. On mérite mieux qu’un système qui exploite nos corps et nos esprits. Peut-être qu’on mérite… un changement de système ?
Merci de m’avoir lu.
Anne BEAUPUY